Porcelanosa, 2020

«- Tu veux prendre un thé ?
– Deux cafés alors.
– C’est toujours agréable de s’asseoir.
– Oui, c’est toujours agréable de se sentir chez soi chez l’inconnu.
– Et désagréable à la fois, on perd notre espace intime.
– Oui, on perd son corps.
– T’as mis quoi dans ton kawa ?
– Un peu de fluo, pourquoi ?»

Parce que je suis dans dans la théière où l’eau bout, cela m’emmène dans un entre deux. Sous le masque de la récupération in situ ou dans la rue et celui de la préciosité. Des jeunes artistes bouillonnent et ne se soucient de rien d’autre que d’offrir : du café, des fauteuils, des copies ou des réinterprétations. Je suis une bourgeoise que Nicolas Weber invite. Il est un artiste, un curateur qui s’engage dans un ensemble organique.

Alors, il se met à écrire l’histoire de Porcelenosa, seul puis avec d’autres plasticiens. Je ne sais pas ce que mot signifie exactement. Un étrange mélange entre une porcelaine, un porc et une rosace. Je ne pense pas que ce mélange soit le bon, peu importe. Alors, je préfère écrire sur cette exposition depuis chez moi. Sans y mettre les pieds. Comme avant de plonger dans l’eau, on imagine les cailloux qui nous transperceront. J’irai au finissage, le 31 juillet, à l’heure des bouillonnements dans la théière porcelaine. Je fantasme des fauteuils imitation style empire, avec moteurs, électriques, oui, des tapis de velours et des œuvres d’artistes. Nicolas reçoit du monde, même des inconnu.e.s d’une époque et d’une région non renseignées, qui ont laissés leurs canevas dans son salon, ou le nôtre, je ne sais plus. Le café à la main, c’est un peu chez moi. Un lit d’adulte orné d’un tapis d’enfant mélange des époques de ma vie qui n’auraient jamais du se rencontrer.

La cheminée est en papier mâchée, Cyprien Desrez, un artiste invité ou incrusté n’est pas là pour le café du jeudi, il est ailleurs, en voyage, injoignable. Je crois même que cette œuvre lui a été kidnappée par Nicolas. Je suis dans un décor ou une peinture. Il y a beaucoup plus de meubles ici que chez moi. Je ne sais pas si ce sont des sculptures où des invitations à la rencontre avec soi-même. Je perds mon corps, je me liquéfie dans les motifs des tapisseries qui servent de fond aux peintures de Nicolas. Tous ces artistes dans cette maison de papier et de bois mêlent les époques et les genres artistiques. Ils troublent l’espace de l’exposition. Ils la cadrent, l’encadrent, la contre-carrent. Cette exposition est l’image d’un papillon qui se révolte.

 Nicolas en a placardé un, un rose fluo sur du bois, il s’est baladé avec. Il a pété la chrysalide pour prendre encore plus de place. Herveline Geffrault depuis son atelier d’artiste observe cette métamorphose et se l’empare. Cela s’embrase. Et voilà une banderole papillon comme une bière que l’on trinque au profit de l’instant. 

Le café est prêt, l’eau est bouillante. La vision se double. Nicolas réinterprète une peinture de l’artiste Tom Nadam. Tom est sous les traits de Nicolas, ce mélange crée un corps monstrueux et dérangeant. Et je me demande jusqu’où les corps se sont mêlés sans détruire leur chez soi interne. Je suis sur le plateau, je ne sais pas quoi faire de mon regard qui n’arrive plus à définir correctement ni le temps ni l’espace. Si ce n’est les murs du Labo des Arts qui maintiennent cette fête silencieuse aux fauteuils vides. Ce sont des jeunes, des inconnu.e.s, des fantômes, des copies, des images, des décors, des micro-gestes et des amitiés. Le parquet est faux, la cheminée aussi, le lit n’a plus de sommier, le papier peint a été volé à un autre artiste. Ces jeunes artistes conscients de la gratuité de leurs gestes ne font qu’offrir leurs passions et leurs engagements pour solliciter des souvenirs futurs ou passés. Ils dérangent mes limites entre leurs propres humeurs et leurs fictions. Je suis mal à l’aise et pourtant invitée avec plaisir à m’installer comme chez moi. Je nage déjà avec eux dans cette théière artistique, c’est pour ça que j’écris depuis nulle part pour un ailleurs. Je suis avec eux, papillonnant à inviter les fantômes, à écouter les vides, à copier, à réinterpréter et à embrasser tous ceux que j’aime.

L’exposition est peinture et nous peint en même temps que nous la traversons. Le fluo a teinté ma peau, l’haleine est de café. J’appartiens à cette chrysalide en révolte qui explose. Je suis eux. Assise sur un tapis, contre un mur, en transparence. Je vous observe et vous insuffle toute l’énergie de ces artistes qui ne sont pas prêts de s’arrêter à vous convier. Je suis eux et ils sont moi. Chacun avec sa propre énergie, prêt.e.s à flamber la distance imposée entre le regardeur et l’exposition, entre l’œuvre finie ou l’agencement infinie des humeurs. Tout ce qui fait de nous tous des êtres sensibles que le temps semble assommer. Alors, un café, un sourire et on s’approprie à notre tour les traces du temps. Tous des brigands, tous des artistes, j’irai là-bas demain prendre un café et vous ?

 

Charlotte DELVAL, 2020